Le fleuve Wouri, en duala Mopi mw’Ewodi (ou mw’ewori) est célébré par le grand poète Fernando D’Almeida comme le plus beau fleuve au monde. Et s’il y avait un fleuve monument au Cameroun, ce serait bien celui-là. En effet, de ce Rio dos Camaroes des navigateurs Portugais qui l’abordent en 1472, le Cameroun tire son nom (les amaroes désignant les légendaires crustacés mbéa towe que l’essayiste Valère Epée présente comme une manne divine et endémique). C’est aussi sur ses rives que se jouèrent les premiers évènements majeurs qui engagèrent note pays dans l’histoire dite moderne. Il en est ainsi de la signature le 12 juillet 1884 du traité Germano-Kamerounais entre Nachtigal et des souverains Duala. D’autres traités furent signés sur ces rives à l’instar de celui de février 1885 entre l’amiral Knorr et le chef Kwa Makembé de Wouri Bwelé.
Navigable sur moins d’une centaine de kilomètres de Yabassi à son embouchure sur l’océan Atlantique, le Wouri est appelé Nkam dans sa partie supérieure, c’est-à-dire au-delà du canton Wouri-Bossoua. Il tire sa source des hautes terres bamiléké dans le département de la Menoua. Le bassin versant du Wouri/Nkam draine les eaux coulant de plusieurs départements de l’Ouest (Bamboutos, Menoua, Hauts plateaux, Ndé), du Littoral (Moungo, Sanaga Maritime, Nkam) et même du Centre (Mbam et Inoubou). En aval de Dschang et en amont de Melong l reçoit la rivière Menoua. Après avoir traversé la plaine des Mbô, au niveau de Melong, il s’associe à un bras venant des pentes du massif de Bana pour déverser ses eaux plus bas par les spectaculaires chutes d’Ekom – Nkam. Dévalant les pentes du Manengouba, il est enrichi d’abord par les eaux de la Nsebe, ensuite par celles de la Makombé qui avec, son affluent, la Mahou a des ramifications connectées des cours d’eau de Banganté, Ngambé, Yingui, Ndikinimeki et du Nord Makombé (Ndobian). Les eaux du Nkam coulent ainsi pour traverser Yabassi – ville puis le canton Bodiman, avant d’être enrichies une fois de plus, au niveau de Bonanjoa dans le canton Wouri Bossoua par la Dibombé. Dès lors, on ne parle plus du Nkam, qui change de nom pour devenir le Wouri.
Quand on sait que la Dibombé draine le flanc Sud du Mont Manengouba, le Mont Koupé près de Loum et les confins de Mbanga, on comprend pourquoi les eaux du Wouri, recevant les particules des sols montagneux du Moungo, changent de couleur à hauteur de Bonanjoa. On comprend aussi pourquoi la basse vallée du Wouri est souvent sujette à de graves inondations en saison de pluies. A titre d’illustration, avec les dernières grandes crues de septembre 2017, il y avait plus de 2 mètres d’eau sous la dalle du Musée de l’Eau à Bona’Anja.
Après la rencontre entre le bras principal du fleuve et son bras secondaire le Mboné qui se séparent à Moutimbélembé et se rejoignent à Bonamakong Bonépéa pour former l’île Wouri, en aval de l’Etia Bossamba, se trouve l’embouchure de l’Abo. Cette rivière se jette dans le Wouri en amont du village Yassem (Bakoko-Dibombari). Puis le Wouri continue majestueusement sa marche vers Douala en se subdivisant en plusieurs méandres dont les principaux forment la grande île de Jebalé avant de servir de point d’ancrage au port de Douala, l’un des plus grands de la côte Ouest africaine. Le Wouri sur les berges duquel est né le Ngondo, plus grande instance traditionnelle Sawa au début du 19ème siècle, a toujours servi de trait d’union entre les communautés de la côte camerounaise.
L’ETIA
BOSSAMBA
Le célèbre Etia Bossamba, tourbillon tumultueux, est l’un des lieux les plus énigmatiques et les plus mystérieux du Wouri. Celui que le regretté prince Dika Akwa nya Bonambella appellera le ‘‘gouffre de la Pléiade’’. La Pléiade, par rapprochement sémantique entre le suffixe Samba (du nom Bossamba) désignant le chiffre 7 (en Duala / Wuri / Ewodi / Pongo / Bodiman / Malimba / lingala, etc.) d’une part et les 7 Pléiades, filles d’Atlas et de Pléioné, dans la mythologie grecque. Comme on le sait, en astrologie, les Pléiades désignent aussi une constellation d’étoiles. Au niveau de Bonjo Kôgi et de l’Etia Bossamba, la nature a ses mystères. Il s’agit de deux grandes collines qui se font presque face en oblique. L’une en amont et l’autre en aval.
Ces deux collines soulignent la présence d’une faille dans le fleuve, faille certainement liée à la surrection du Mont Cameroun (qui se trouve à moins de 50 kms à vol d’oiseau) et qui explique les profondeurs exceptionnelles en ces lieux (12 m, soit l’endroit le plus profond du fleuve Wouri, de sa source dans le département de la Menoua à son embouchure sur l’Océan Atlantique). Ici, le fleuve Wouri appelé Nkam dans sa partie supérieure, se divise en deux bras : le chenal principal à gauche en partant de Douala vers Yabassi et le Mboné à droite, dont un affluent dessert Tondé (village du canton Wouri Bwelé) à hauteur du PK 30 de la route DoualaBonépoupa-Yabassi (route Razel). Ces deux bras vont se rejoindre plus haut à presque 5 kms à la confluence de Mutimbélembé, pour former l’île Wouri où sont établis les villages Bonépéa, Bonjo, Munjamussadi et Moutimbélembé (Bonamondo).
D’où vient donc le nom Etia’ Bossamba ?
Simplement d’un des grands maîtres des lieux, un ‘‘prêtre’’ du culte de l’eau, grand initié de la confrérie Jengu : le Seigneur Bossambé Epellé, fils de Epellé Bossambé Bwaka, l’un des ancêtres des Bona’Anja. Bien qu’étant établi avec sa famille sur l’île Wouri à Bonjo à environ 3 km en amont, le chef Bossambé Epellé (ou Bossamb’a Pellé) continua de fréquenter Bonjo Kôgi où il avait gardé une résidence rituelle, pour mieux assurer son rôle héréditaire de gardien du temple aquatique sacré, auquel les Wuri vont, par reconnaissance attacher son nom. Le grandissime Bossambé Epellé mort, son fils Mouellé Bossambé prendra efficacement la relève. A ce niveau, laissons parler deux éminents auteurs, les docteurs Christine Buhan et Etienne Kangé Essiben dans leur ouvrage La Mystique du Corps : Les Yabyan et les Yapeke de Dibombari au Sud-Cameroun (Paris, l’Harmattan, 1986). « La puissance du fleuve à Bossamba (Bisamba en Bakoko) appartenait à un certain Mouellé Bossambé (Muelé Sambi) originaire de Bonjo (Vuri). Survint à Yamijan un différend qui poussa les habitants à chasser de chez eux le dénommé Disongo di Nkohe. Muelé Sambi l’adopta, l’autorisa à construire et lui révéla le secret du lieu. Disongo s’établit là avec toute sa famille» (p. 100). Les auteurs ajoutent que Mouellé Bossambé était « un chef puissant de Bonjo » (p. 441).
L’Etia Bossamba, c’est le sanctuaire par excellence des ondines, les miengou (jengu au singulier), les mamy wata. Dans ce gouffre de la Pléiade règne selon la légende, la ‘‘femme au sein unique et à la queue de poisson’’. Les grosses pierres présentes mystérieusement en ces lieux constituent autant de refuges pour les génies et l’eau de l’ensemble du pays Sawa. Les esprits de certains ancêtres sont également connectés à cet espace sacré, que les initiés Sawa en général et Wuri en particulier n’évoquent qu’avec un mélange de vénération et d’émerveillement. Quand on maîtrise sa généalogie et qu’on est de noble ascendance. Quand on connait certains mots de passe rituels et les codes secrets de communication avec l’invisible. Quand on y déverse les présents idoines en guise de sacrifice, alors on peut y prononcer des vœux. Et si telle est la volonté des ancêtres, des divinités de l’eau et de Nyambé Eweke (le Dieu Tout Puissant, Créateur et Incréé), on peut obtenir entière satisfaction.
Encore faut-il que les intentions soient pures, nobles et dépouillées de visées sordides ou scabreuses. On comprend pourquoi toutes les pirogues de course de la vallée du Wouri/Nkam, depuis les plus anciennes Makembé Bwalo, Nkond’a Bwalo, Nkam Nkam aux plus récentes, à l’instar de Njoh a Bwalo (du nom de son donateur le Pr. Ebénézer Njoh Mouellé), transitent impérativement par le sanctuaire de Bossamba pour les ultimes rites de protection, de ‘‘blindage’’ et évidemment de bénédiction avant toute compétition nautique, notamment à l’occasion du Ngondo. Ces pirogues, on le sait, ont toujours été pour les Jebalé, Malimba, Deido, Akwa, Bota, Isubu, Pongo Songo, Bakoko, etc., les concurrents les plus redoutables. Écoutons aussi le patriarche Ebongo Anatole (né en 1911) dans son livre Souvenirs d’un enfant du siècle (Edition Clé, Yaoundé 2013) : « Immédiatement en aval de Moutimbelembè se trouve le plus mystérieux des sites sacrés du fleuve Wouri ou Nkam, l’Etia Bosamba, nom de l’ancêtre du village Bonjo.
Traverser l’Etia Bosamba de nuit a souvent exposé les piroguiers à de curieux incidents ». A côté de l’emblématique tourbillon de la Pléiade, ‘‘tribunal des eaux’’, les autres contre courants fluviaux du Wouri les plus réputés sont l’Etia Dingong, que surplombe la préfecture de Yabassi ; l’Etia Koum, à l’entrée du pont du Wouri, côté Bonabéri dont Guy Georgy, dans son livre, Le Petit Soldat de l’Empire, évoque la menace qu’il faisait planer sur le pont du Wouri la veille de son inauguration en mai 1955. Elle n’aurait été conjurée, selon l’auteur, qu’avec la mort accidentelle de Doumbè Mbappè, un grand initié de Bonabéri.
LE
BAOBAB SACRÉ
Le Baobab sacré de Bonabwaka – Bona’Anja Siga Bonjo est, du point de vue de son histoire, notamment des récits anecdotiques qui la compose, l’un des plus mythiques de toute la région. L’article suivant, publié dans le Quotidien national Camerounais, Cameroon Tribune, l’illustre et le présente de la plus belle des manières :
Des mythes il en reste encore dans nos contrées. Des rites aussi parfois macabres. Mais toujours aussi important pour les contemporains. Le constat a été fait tout récemment, à Bonjo. « La flèche ayant servi à éventrer ma mère, morte avec un fœtus dans son sein se trouve plantée dans cet arbre », explique Jean Mbongue, un natif du coin. L’histoire remonte aux années cinquante. Jeanne Ngasse, enceinte et mère de cet homme, venait de passer de vie à trépas. Ne pouvant pas l’inhumer avec un fœtus vivant, les « anciens » ont exigé l’euthanasie préalable du fœtus.
Des histoires comme celle-là, dans notre contrée. Il nous a donc paru nécessaire de se rendre au pied du « Baobab sacré », pour en savoir davantage. Mais, seulement, l’exercice devait impliquer d’autres forces. Des forces visibles, mais aussi invisibles. Un premier arrêt s’est pour cela, fait à Douala. Il importait d’avoir l’aval du « gardien des traditions ». Une fois l’accord obtenu, l’étape suivante a été l’accès proprement dit au pied de cet arbre, d’une circonférence de trente-sept mètres. Tout un autre exercice. L’entrée de tous s’est faite le dos tourné à l’arbre. Et en traversant les tiges de bananier, posées préalablement à même le sol. Puis, une fois au pied de cet arbre dont le bas du tronc est subdivisé en plusieurs « chambres », ayant chacune, selon les initiés, une fonction particulière, il a fallu présenter les visiteurs et tous ceux qui étaient de l’expédition. Le rituel a été conduit par un initié. Il consistait à prononcer les noms de tous ceux qui étaient présents, tout en précisant la raison de leur visite. Après quoi, l’arbre et invités devaient partager un pot.
Ce n’est pas une fable. Mais plutôt une histoire authentique. Un vécu. Selon Guillaume Mouelle Kombi, gardien des traditions, autrefois, ce baobab servait d’arbre à palabres. « C’est à son pied que se prenaient toutes les grandes décisions, relatives à la vie de la contrée, à l’instar du choix du chef du village et de son intronisation », indique-t-il. Pour ce patriarche, son implication dans la vie des hommes d’aujourd’hui, permet aussi d’avoir les contributions des ancêtres, sur des sujets donnés. « C’est un porte-bonheur, un médiateur, entre les vivants et les morts, un purificateur…», confie-t-il.
Source : Cameroon-Tribune du 27 février 2013 (LaTribune des Régions)